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Dans la suite 1039, la vieille dame se retourna dans son lit et marmonna dans son sommeil

Puis elle se retourna encore et marmonna de plus belle, derangee en plein reve par un bruit insistant.

Elle ouvrit les yeux.

— Inge ? grinca-t-elle.

Quelqu’un frappa a nouveau a la porte.

La vieille femme agrippa d’une main fripee la barre metallique fixee a la tete de son lit et se mit peniblement en position assise. Elle sortait d’un reve plutot agreable dans lequel l’animateur de television Monty Hall, equipe d’un tube de vaseline, jouait un role de premier plan. Elle passa une langue rapeuse sur ses levres seches, cherchant a se souvenir de details qui commencaient deja a se perdre dans les limbes de sa memoire.

— Ou est donc cette espece d’empotee ? grommela-t-elle, vaguement inquiete.

Les coups redoublerent.

D’une main usee, elle ecarta peniblement la masse de coton et de satin dans laquelle elle nageait, prit le dentier reposant dans une assiette sur la table de nuit et l’enfila sur ses gencives anemiques. De la meme main, la vieille dame saisit le pommeau de sa canne et se leva avec lenteur en jurant a mi-voix. Un leger roulis agitait le navire et elle dut se tenir au mur en s’approchant de la porte de la chambre.

— Inge ! appela-t-elle.

Elle fut a nouveau assaillie par la peur. Elle avait horreur de dependre d’autrui et sa vulnerabilite lui faisait honte. Elle avait ete independante toute sa vie et voila que cette satanee vieillesse la rattrapait.

Elle alluma la lumiere et regarda autour d’elle afin de maitriser sa peur. Ou pouvait bien etre cette fille ? Comment avait-elle pu avoir le culot de la laisser toute seule ? Que se serait-il passe si elle etait tombee de son lit, ou bien si elle avait fait une crise cardiaque. Elle prenait en pitie une pauvre fille et voila ce qu’elle recoltait pour sa generosite. A tout coup, Inge etait partie batifoler avec le premier membre d’equipage venu. Cette fois, la coupe etait pleine. Des l’arrivee a New York, elle renvoyait cette peronnelle. Sans preavis et sans lettre de recommandation. Cette trainee n’aurait qu’a user de ses charmes si elle voulait rentrer en Suede.

Arrivee au seuil de sa chambre, la vieille femme s’arreta pour souffler en s’appuyant sur le chambranle. Les coups, bien distincts a present, provenaient de la porte de la cabine. Des voix s’y melaient.

— Pete ! He, Pete ! fit une voix etouffee dans le couloir.

— Qu’est-ce que c’est ? cria la vieille femme. Qui etes-vous ? Que voulez-vous ?

Les coups cesserent.

— Pete, viens ! reprit la meme voix pateuse. On va pas passer la nuit ici.

— Allez, Pete, bouge-toi le cul ! lanca une autre voix tout aussi pateuse de l’autre cote de la porte. Tu te souviens des gonzesses qu’on a rencontrees au Trafalgar ? Eh ben, apres ton depart, elles sont revenues et on a passe la nuit a biberonner du Champagne. Je les ai ramenees dans ma cabine, elles sont completement platrees. Allez, vieux gars, c’est le moment de tirer ton coup. La blonde, j’te dis pas comme elle est gaulee, avec…

La vieille dame, tremblante de rage et d’indignation, s’agrippa au chambranle de plus belle.

— Laissez-moi tranquille ! cria-t-elle. Allez-vous-en tout de suite !

— Quoi ? fit la premiere voix, etonnee.

— Je vous dis de partir !

Un silence etonne, suivi d’un fou tire.

— Eh merde ! fit la deuxieme voix. On s’est plantes de piaule !

— Je te jure qu’il m’a dit la 1039.

— Je vais appeler la securite ! hurla la vieille dame.

Des eclats de rire lui repondirent depuis le couloir et les intrus s’eloignerent.

Le souffle court, la vieille femme s’ecarta de la porte et fit des yeux le tour du salon, appuyee sur sa canne. Pas de doute, le canape n’etait meme pas defait. Sur le mur, l’horloge indiquait 23 h 30. Sa protegee l’avait purement et simplement abandonnee en la laissant toute seule.

Elle fit peniblement demi-tour et retourna dans sa chambre, le coeur battant, puis elle se remit au lit et posa soigneusement la canne pres d’elle. D’une main ferme, elle prit le telephone et composa le zero.

— Allo j’ecoute, repondit une voix aimable. Linda a votre service.

— Passez-moi la securite, grinca la vieille dame.